Mission: en terrain ennemi - Prudence et Aoife

Elle s’est endormie, Aoife. Elle a laissé son corps fatigué se faire emporter. Ses muscles hurlent, poussés à bout par un entrainement qui continue de s’intensifier. Elle gagne en popularité, la banshee. Les critiques se l’arrachent. Elle s’enivre de l’attention qui continue de se déposer sur sa personne. Elle ne peut s’éloigner de ce monde qui lui offre tout. Elle ne peut se laisser perdre dans un monde qui lui a tout pris. L’art avant la guerre. C’est un sommeil sans rêve qui s’est emparé d’elle. Elle ne rêve pas, la danseuse. Elle se contente de disparaitre dans un néant apaisant. Un néant bien loin du chaos de la guerre. Un néant bien loin du chaos de la mort. Un néant dans lequel elle ne fait rien. Un néant dans lequel elle se sent enfin capable de respirer. Un néant dans lequel on ne la laisse pas se perdre. La cacophonie de ses alentours la réveille dans un sursaut. Ses cheveux coulent le long de son visage. Loin d’être emprisonné dans son chignon habituel, ils se sentent libres. Ils se sentent puissants. Portés par ses doigts fins, ils finissent par retomber sous la force de la gravité. Elle se lève dans la confusion, Aoife. La rébellion est prête à retourner à sa tâche. La rébellion a entendu ses ordres. L’armée est prête à se battre. Aoife n’a rien à offrir. Le magasin est calme depuis Halloween. L’accès au manoir des Black est fermé. Elle n’est pas parvenue à retrouver la princesse. Pas pour le moment. Alors elle est inutile, Aoife. Elle nettoie le sol pour rien. Elle se fait enlever d’entre les bras de son rêve pour un cauchemar sans but. Elle pense pouvoir s’échapper. Mais elle ne s’échappe pas. « Aoife ? » La poigne de Prudence est autoritaire. « Tu n'aurais pas envie d'aller boire un verre avant de rentrer ? » Elle soupire, la banshee. « J’ai une répétition demain matin. » Elle ne finit pas son excuse. Ses yeux trouvent le ciel. « Je peux pas rester trop tard. » Elle ne peut refuser l’ordre de Prudence. Une fois sa cape sur ses épaules, elle se contente d’observer la sorcière. Elle déteste transplaner, Aoife. Elle déteste cette sensation qui la brise de part en part. Elle la déteste, mais elle se doit de prendre la main de la rebelle. Elle disparait. Elle se brise. Elle se reforme. Elle vacille. Elle s’appuie contre Prudence un moment. Puis elle comprend. Elle comprend qu’elles ne sont pas ici pour boire un verre. Elle comprend ce qu’est le "ici". L’allée des Embrumes. Ruelle macabre dans laquelle la danseuse refuse de pénétrer. Les chasseurs y sont nombreux. Trop nombreux. Des chasseurs aux regards précis. Des chasseurs aux regards aiguisés. « Pru, qu’est-ce qu’on fou là ? » lâche-t-elle dans un murmure qui hurle la rage. « C’est ici. » « Non Prudence, c’est pas ici… » Elle désire s’enfuir, Aoife. Elle le désire plus que tout au monde. Mais quelque chose lui dit qu’elle en sera incapable.