Elie Longbottom ♦ If I were a boy

7 juillet 1926
Thomas serrait l'enfant contre son coeur, le berçant doucement avec un regard doux. Son premier enfant. Sa petite fille. Elinor. Sa femme Nellie le lui avait offert quelques heures plus tôt, au prix de douloureux moments. Elle ne pourra avoir d'autres enfants, lui avait confié la médicomage avec un air fermé. Thomas avait acquiescé, le coeur lourd. La faible constitution de Nellie n'avait jamais été un secret, mais savoir qu'elle lui imposait des limites, des sacrifices, restait difficile à accepter. Cela viendrait avec le temps. Il apprendrait à ne plus faire le deuil d'un héritier. L'enfant bougea dans ses bras, ouvrant ses grands yeux en un bâillement. Elle était si calme déjà. Thomas en tomba amoureux une nouvelle fois, perdu dans ce visage si innocent. Les yeux de l'enfant passèrent du brun sombre des siens à un vert clair. Elle était déjà spéciale. Sa Elinor, sa fierté.


1931
« Elie, viens jouer ! » L'enfant leva un regard inquisiteur vers sa mère qui sourit en réponse. Extatique, la fillette se précipita vers la barrière blanche qui séparait leur jardin de celui de ses voisins. Les deux autres enfants étaient sorciers également, et leur jeu préféré consistait à se cacher dans les bosquets pour voir Elie leur faire des tours de sa magie. « Fais les cheveux rouges, Elie ! » Alors elle s'appliquait, fronçait les sourcils et laissait son don faire le reste. Ils l'admiraient tellement, l'enviaient même. « T'es trop cool, pour une fille. » Elle ne comprenait pas, elle ne saisissait pas ces remarques négatives. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait pas jouer au balai avec eux. Elle ne comprenait pas la distance qu'ils mettaient entre eux alors qu'elle se sentait pareille à eux, identique. Elle était comme eux. Ce n'était pas de sa faute si elle était née fille. Elle était comme eux.

* * *

« Elinor ! Qu'est-ce que c'est que cette tenue enfin ? » L'enfant se tenait sur le pas de la porte, la tête baissée et les mains dans les poches du short bien trop grand de son père qu'elle avait resserré autour de sa taille avec un ruban qui se trouvait habituellement dans ses cheveux. Des cheveux cachés sous une gavroche. « Mère, dit-elle doucement, je veux être un garçon. » Une poigne solide vint saisir son bras pour la traîner jusqu'à sa chambre. « Ne dis pas de sottises, ce n'est pas digne d'une fille de bonne famille comme toi. Encore une idée de ces deux idiots d'à côté, n'est-ce pas ? » Elle ferma la porte derrière elles et s'empressa de lui ôter son déguisement. Les cheveux blonds de l'enfant dégringolèrent sur ses épaules. Son reflet la narguait dans le miroir. Elle détestait ces cheveux. De colère, elle les vit disparaître au profit d'une coupe garçonne de cheveux bruns. « Elinor ! Arrête ça tout de suite ! » Mais sa mère eut beau crier et menacer, l'enfant de cinq ans s'entêta. Elle voulait être un garçon. Elle n'était pas une fille.


mai 1934
Elinor fixait les flammes de la cheminée, recroquevillée à même le sol dans sa robe en dentelle noire. Elle fixait la lumière à en avoir mal aux yeux, ses orbes encore rougis d'avoir trop pleuré. Derrière, elle entendait les voix comme étouffées par un voile de coton. Ils étaient tous là, à boire à la mémoire d'un vaillant Auror qui était tombé, cueilli au cours d'une mission. Un héros. Mais Elinor s'en fichait bien. Elle ne voulait pas d'un héros. Elle voulait son père. Elle voulait celui qui la réconfortait, qui la couvrait de cadeaux et d'attentions dès qu'il pouvait passer un peu de temps avec elle. Elle voulait son meilleur ami, son confident, le seul qui l'appelait Elie et qui lui disait que les cheveux courts lui allaient bien. Elle se fichait bien de voir la branche principale des Longbottom et tout le gratin sorcier chez elle, elle aurait voulu qu'ils disparaissent tous pour ne laisser que son père. Elle saisit une longue mèche de cheveux blonds entre ses doigts, les lèvres pincées, commençant à les rendre plus sombre. « Elinor. » La voix était faible mais ferme. L'enfant se leva et courut jusqu'à sa chambre sous le regard désapprobateur de sa mère.


1er septembre 1937
Glousser. Piailler. S'esclaffer. Cela faisait des heures qu'elles ne s'arrêtaient pas. Elie n'en pouvait plus. On aurait pu penser que les Serdaigles étaient plus sérieuses, plus matures, mais son dortoir était rempli de gamines qui commençaient à lui donner mal à la tête. Elle était pourtant contente d'être là, Elie, à Poudlard, enfin, et dans la maison de son père qui plus est. Mais elle avait regardé les garçons se diriger vers leur dortoir avec une pointe d'envie. Agacée, elle tira les rideaux de son lit, prétextant aller se coucher. À l'abri des regards, elle laissa son corps changer. Ses cheveux tout d'abord, dans lesquels elle passa une main avec un petit soupir. Puis les traits de son visage. Elle n'était plus Elinor, plus vraiment. La voix pleine de reproches de sa mère vint perturber son moment de calme et elle laissa ses traits féminins reprendre le dessus. Même ici, elle ne pouvait être qui elle voulait.


novembre 1939
Elie se trouvait dans un recoin de la bibliothèque, son repaire. Les livres avaient été ses sauveurs, comme souvent, lorsque rien n'allait. Les livres et Abelam. Son seul ami, le seul à le comprendre et l'accepter. Ils formaient une paire tellement atypique. « Abel. » Le Lestrange se contenta d'un murmure pour montrer qu''il l'écoutait, les yeux toujours plongés dans son livre. « Je suis un garçon. » Il tourna une page. « Je sais Elie. » Ils restèrent en silence un bon moment, chacun dans ses devoirs. Finalement, Abelam posa son ouvrage pour fixer son meilleur ami. « Pourquoi est-ce que tu te caches ? » lui demanda-t-il en tirant doucement sur une mèche blonde. Elie baissa les yeux. « Les autres ne comprendraient pas. » « Et ? » Il avait raison, totalement raison. Cela faisait des années qu'Elie souffrait, enfermé dans ce corps qu'il ne reconnaissait pas comme le sien, dans cette image de gentille fille qui ne lui correspondait pas. Il n'était pas une fille. Il ne l'avait jamais été. Des larmes perlèrent au coin de ses yeux. « Merci », souffla-t-il. Ils reprirent leurs devoirs en silence jusqu'à ce que la voix rieuse d'Abelam ne les interrompe. « Ça veut dire que tu peux choisir la taille ? » Ils explosèrent de rire et se firent chasser de la bibliothèque à grands cris.


juin 1940
Il ne devait pas les écouter. Il ne devait pas faire attention. Ils pouvaient bien se moquer, l'insulter ou le regarder avec dégoût, il ne les laisserait pas l'atteindre. Il était enfin tout ce dont il avait toujours rêvé, il était enfin lui-même, avec un corps qu'il aimait. Alors il pouvait bien supporter ses camarades de dortoir qui criaient au scandale d'avoir un monstre dans leur chambre. Il pouvait bien supporter les plus mauvais d'entre eux qui tentaient de lui faire du mal. Il supporterait le regard de sa mère lorsqu'il rentrerait pour les vacances. Parce qu'il avait Abelam. Parce que son ami était là pour le défendre, pour le soutenir. Parce qu'il l'aidait même parfois à se faufiler dans le dortoir des garçons et qu'il lui prêtait un bout de son lit pour qu'il n'ait pas à retourner chez les filles. Parce qu'il n'avait pas sourcillé lorsqu'Elie lui avait dit aimer les hommes. Il était toujours là, malgré tout, et Elie ne savait pas ce qu'il avait fait pour mériter un tel ami.


février 1941
« Elie, viens voir. » Le jeune homme releva la tête de son livre pour apercevoir Abelam dans une petite allée de la bibliothèque qui lui faisait signe de le rejoindre. Il posa son ouvrage sur la table où s'étalaient leurs parchemins et leurs plumes avant de se lever et de se diriger vers son ami. Celui-ci était retourné au fond de l'allée déserte où il feuilletait un livre qu'il venait apparemment de trouver. « Tu as trouvé les propriétés des viscères de sangsues ? » demanda-t-il en s'approchant. Abelam ne répondit pas, le nez toujours plongé dans le livre. Elie se plaça donc à ses côtés pour lire au-dessus de son épaule. En quelques secondes, l'ouvrage se retrouva juste devant son visage, et les lèvres d'Abelam posées sur les siennes, à l'abri des regards.


avril 1944
Elie était confortablement installé sur le lit de son meilleur ami, lit où il passait le plus clair de ses nuits pour fuir le dortoir des filles. Abelam et lui s'étaient séparés il y a plus d'un an à présent, mais ils restaient toujours aussi proches, parfois trop. Elie ne s'en plaignait pas, il aurait détesté perdre la seule personne qui l'acceptait comme il était. Sa mère s'obstinait à l'appeler Elinor et à lui faire la morale, les traits tirés. Les élèves de Poudlard avaient fini par se lasser, certains avaient même oublié qui il était, effacé par d'autres rumeurs et histoires. Mais sa vie était loin d'être facile, surtout lorsque chaque mois, son organisme faisait des siennes et l'obligeait à reprendre un corps de femme pour que Mère Nature fasse office. Elie détestait ces moments, cachant ses courbes sous des robes plus amples, se fatigant à transformer son visage pour qu'il reste le même. Et Abelam était toujours là. Mais plus pour longtemps. Car Elie le savait, Abel voulait partir, voyager, parcourir le monde une fois leurs ASPICs en poche. Il partirait et le laisserait seul. Il réaliserait son rêve, et qui était-il pour l'en empêcher ?


février 1945
Ses ongles déchiraient la peau, faisant perler des gouttes carmins qui se mélangeaient rapidement à l'eau brûlante coulant sur son corps. Il pleurait, des sanglots d'un coeur brisé, d'un corps écartelé, d'un esprit éclaté. Il hurlait, brisant le miroir qui reflétait les longs cheveux blonds qu'il haïssait, la poitrine d'une femme qui n'était pas lui, les courbes d'un corps qu'il rejetait. Il tombait, sombrait, saisissant les bris de verre pour attaquer cette chair qui devait disparaître. La douleur l'endormait, l'apaisait, éteignant pour quelques secondes la souffrance qui lui vrillait l'esprit. Et le sang se mêlait encore à l'eau, disparaissant sans laisser de preuves dans le siphon de la douche. Et demain il recouvrirait les cicatrices de sa blouse blanche, pour aller apprendre à guérir des personnes troublées. Des personnes comme lui. Il les aiderait, à défaut de pouvoir se sauver lui-même.


janvier 1946
Il voulait oublier. Oublier la guerre. Oublier la mort. Oublier ses problèmes. Alors il se perdait, il s'abandonnait dans le corps des autres, dans le corps d'un autre. Il laissait Slughorn l'utiliser comme une poupée de son, il le laissait le blesser, le violenter, l'aimer à sa manière. Et il l'utilisait en retour, déversant son désespoir, sa haine de lui-même, sa douleur et sa dépendance. Ils se perdaient l'un dans l'autre, dans des entrevues toujours plus violentes et désespérées. Ils étaient brisés et préféraient se détruire encore plus au lieu de lécher leurs blessures respectives. Ils n'étaient pas fait pour s'aimer. Ils n'étaient fait que pour se détruire.


août 1950
Elie déposa le dernier ouvrage sur l'étagère. Les élèves de Poudlard ne tarderaient pas à venir envahir sa librairie pour récupérer leurs manuels, et il venait enfin de recevoir la dernière commande. Son regard était fier alors qu'il parcourait le petit établissement qu'il avait acheté avec l'argent gagné au cours de ses nombreuses années d'apprenti psychomage. S'il aimait son métier, dont il avait obtenu le diplôme avec brio, sa véritable passion restait les livres et c'était un rêve d'enfant qu'il avait réalisé en ouvrant la boutique. Il n'avait malheureusement que peu de temps à y consacrer. Il lui fallait déjà filer pour un rendez-vous, laissant à son employé la charge de finir le travail. Il était attendu à Ste Mangouste, dans son bureau, par nul autre que Cain Prewett. Elie l'avait connu bien avant qu'il ne devienne son patient, le croisant au détour du service alors qu'il venait consulter l'un de ses collègues. Et si Cain avait décidé de changer de psychomage à l'obtention du diplôme d'Elie, ce n'était pas anodin. Leurs sessions se terminaient le plus souvent contre le bureau ou sur la couchette, lorsqu'elles ne commençaient pas ainsi. Quatre ans. Quatre ans à présent qu'ils entretenaient cette relation, si on pouvait la qualifier ainsi. Ca ne devait être rien, une simple incartade. Mais Elie s'était retrouvé pris au piège, écrasé par des sentiments qui avaient fini par éclore sous les baisers du Prewett. Il était incapable de s'en défaire. Son coeur avait besoin de sa présence, bien qu'il souffre de savoir cette histoire impossible. Son corps avait besoin de leurs rencontres passionnées et violentes. Il avait laissé Cain couvrir sa peau de cicatrices, masquant celles qu'il s'infligeait seul. Et il aimait ça. Il aimait souffrir, il aimait punir ce corps qui était encore imparfait. Il se perdait toujours plus, y trouvant là sa seule échappatoire, refusant l'idée d'une thérapie de peur qu'on lui retire son droit de pratiquer. Cain était son exutoire, son échappatoire pendant les années où le seul qui pouvait le comprendre l'avait laissé, abandonné. Il n'en voulait pas à Abelam. Mais Abelam n'était pas là. Abelam n'avait pas pu le sauver cette fois.