You can not fix yourself by breaking someone else. Yet, you can try. || Jeremiah

Cela fait des heures que je l'observe, des heures que je regarde sa poitrine se soulever péniblement rongé par cette peur viscérale de voir sa poitrine cesser de bouger, de voir sa respiration s'arrêter, de la voir, elle, mourir. Elle a lutté, en vain, la maladie a remporté cette bataille et ce n'est plus qu'une question d'heures à présent, le médecins ont été très clairs. Alors je reste là, je tiens sa main dans les miennes, je ne la lâche pas. Je refuse de m'éloigner même une minute. Je veux être avec elle quand elle poussera son dernier souffle, je veux l'accompagner jusqu'au bout.

Je ne veux pas qu'elle s'en aille seule comme elle a pu l'être avant ma naissance et même après.

Si je suis resté à ses côtés durant toute mon enfance, elle a dû se faire à mon absence lorsque j'ai été accueilli à Poudlard. D'ailleurs, au départ, je n'ai pas voulu y aller. Je n'ai pas voulu la laisser. Enfin, j'avais envie d'aller à Poudlard mais je n'avais pas envie de la quitter. Elle faisait tant pour moi, m'avait tant donné que j'avais l'impression de l'abandonner en acceptant d'aller dans cette école. C'est elle, à cette époque, qui a su trouver les mots pour m'inciter à y aller et je n'ai jamais regretté qu'elle m'ait poussé à le faire car j'y ai vécu des moments merveilleux. J'y ai tant appris tout en me faisant des amis... Bien sûr, tout n'a pas toujours été simple car moi-même je ne l'étais pas et certains élèves pouvaient se montrer détestables parfois même monstrueux mais oui, le fier Poufsouffle que j'étais y a vécu des années merveilleuses. A chaque vacances, je rentrais avec plaisir pour raconter à ma mère tout ce que j'avais pu apprendre. J'étais tellement frustré de ne pas pouvoir faire de magie en dehors de l'école, tellement frustré de ne pas pouvoir lui montrer toute la beauté de cette magie qui était la mienne. Quand j'ai été en âge légal de le faire, je lui ai fait découvrir cet autre monde auquel elle n'appartenait pas et elle a aimé tous ces moments. Son sourire était ampli de chaleur, de douceur... Elle avait beau avoir subi de terribles épreuves, elle avait réussi à s'en sortir, elle avait réussi à ne plus souffrir comme elle avait pu souffrir à une époque. Elle était toujours marquée, le serait toujours, mais elle était heureuse. Elle me l'a si souvent dit... Que j'étais la plus belle chose qui lui était arrivée même si elle avait dû m'élever seule puisque mon sorcier de père, lâche et égoïste de surcroît, avait refusé de me reconnaître puisqu'il était déjà marié et qu'il avait déjà une autre famille. J'avais toujours dit à ma mère que nous étions très bien tous les deux, que nous n'avions besoin de personne mais en vérité, j'ai toujours souffert de son absence à lui. Toujours. J'aurais voulu avoir un père, avoir une famille, j'aurais voulu que ma mère soit complètement heureuse car elle avait beau l'être grâce à moi, elle ne l'était pas totalement. Je crois qu'elle l'a toujours aimé ce type... Même si elle ne l'a vu qu'une fois, elle est tombée sous son charme et je crois qu'elle ne l'a jamais oublié, jamais. Moi non plus je ne l'ai jamais oublié même si je ne l'ai jamais vu, même si j'ignore à quoi il ressemble. Je ne connais même pas son nom. Je n'ai jamais voulu le savoir, je n'ai jamais posé la question à ma mère. Peut-être aurait-elle voulu que je le fasse mais nous n'en avons pas parlé depuis si longtemps...

Je vois ses paupières trembler, je me penche vers elle.

« Maman ? »

Les médecins ont dit qu'il était peu probable qu'elle reprenne conscience mais je veux y croire. Je veux croire qu'elle va rouvrir les yeux et que je vais pouvoir entendre encore une fois sa voix. Je la fixe avec insistance, je sens ses doigts se serrer autour des miens ce qui veut dire qu'elle m'entend.

« Maman, je suis là. » je lui souffle tout bas en venant caresser son front.

C'est là qu'elle ouvre les yeux et vient planter son regard voilé dans le mien. Je ravale mes larmes, essaye de me montrer aussi fort que je peux l'être. J'esquisse un sourire que j'espère tendre et rassurant à la fois. Son visage est marqué par la maladie, par la douleur qui a été la sienne durant ces dernières semaines.

« Tu as mal ? Tu veux que j'appelle le docteur ?
- Non... »

Sa voix n'est que murmure, je dois me pencher davantage pour pouvoir l'entendre.

« Jeremiah...
- Oui ? »

Je vois bien qu'elle peine à parler, que ça lui demande une énergie folle.

« Tu n'es pas obligée de parler maman. » je termine par lui dire, ne supportant plus de la voir dans cet état.

Elle esquisse un petit sourire.

« Ton père... »

Je me raidis aussitôt et perds ce sourire que j'avais réussi à façonner tant bien que mal. Quoi ? Pourquoi se met-elle à parler de lui maintenant ?

« Ton père s'appelle...
- Non. Ne dis rien. Je ne veux pas savoir. »

Encore maintenant, en cet instant, je ne veux pas savoir.
Et elle le sait.

« Abelin Lestrange... » elle me souffle finalement sans s'occuper de mon refus.

Ma bouche s'entrouvre sous la surprise, je bats des paupières, mes yeux brûlent, je sens venir les larmes. Abelin Lestrange. Lestrange. Mon père est le père Lestrange... Non. Je secoue la tête, n'en revenant pas, n'y croyant pas et ma mère, elle, trouve la force de hocher péniblement la tête pour me confirmer ce qu'elle vient de me dire. C'est une sacrée gifle que je prends en plein visage. J'ai connu des enfants Lestrange à Poudlard, bien sûr que j'en ai connus et ces enfants et moi avions le même père sans le savoir. C'est déroutant. Déstabilisant. Et écœurant car les Lestrange ne sont pas des gens que je portais dans mon cœur à l'école. Trop sombres pour moi. Bien trop sombres. J'aurais préféré avoir un autre père. J'aurais préféré ne pas savoir.

« Tu dois lui écrire Jeremiah... »

Je ne sais pas comment j'arrive à former le mot, comment j'arrive à parler tant je suis encore sous le choc de ce qu'elle vient de m'apprendre mais j'y parviens malgré tout.

« Pardon ?
- Tu dois lui écrire... Tu as besoin de lui...
- Non, je n'ai certainement pas besoin de lui ni d'aucun d'entre eux.
- Tu as besoin d'une famille...
- C'est toi ma famille maman.
- Justement... Je ne veux pas que tu te retrouves seul... Je ne veux pas...
- Je préfère être seul plutôt que d'être avec eux, avec lui... »

Les larmes naissent dans les yeux fatigués de ma mère et je sais que mes mots sont responsables de ses larmes. Cela me brise le cœur. Je me radoucis un peu mais garde le même discours.

« Il n'a pas voulu de moi quand tu lui as parlé de moi maman... Il ne voudra pas plus de moi maintenant...
- Tu dois essayer... Tu dois lui donner une seconde chance...
- Moi ? Je dois lui donner une chance ?...
- Oui... Il faut... Que tu essayes... »

Je ferme la bouche, crispe la mâchoire, ne réponds rien. Comment peut-elle me demander ça ? Comment peut-elle le faire maintenant ? Elle va bientôt mourir et elle parle de lui. Elle le défend presque alors qu'il l'a traitée comme une moins que rien. Lui donner une chance...

« Promet-le moi... »

C'est une supplique et j'ai beau avoir toute la rancoeur du monde envers mon père, je ne peux pas lui refuser ça. Je ne peux tout simplement pas.

« D'accord... » je finis par concéder dans un souffle. « Je lui écrirai. Je te le promets. »

Elle esquisse un sourire, fait l'effort de lever la main que je ne tiens pas vers mon visage pour venir glisser ses doigts sur ma joue. Mon regard noyé de larmes se plante dans le sien. Je déglutis. J'ai peur. J'ai si peur...

« Je suis tellement... Fière de toi...
- Maman...
- J'ai eu... Beaucoup de chance... »

Les derniers mots sont à peine audibles bien que prononcés. Ses prunelles se voilent au moment où sa main quitte ma joue pour tomber inerte sur les draps. Ce moment que j'ai tant redouté est là et il est monstrueusement douloureux. Si douloureux que j'en hurle alors que je m'effondre sur elle ou, plus exactement, sur son corps désormais sans vie.


Debout devant la pierre tombale qui a été gravée par mes propres soins, je jette un regard circulaire pour m'assurer qu'il n'y a aucun Moldu aux alentours avant de sortir ma baguette et de faire apparaître quelques fleurs autour de la pierre tombale. Une fois cela fait, je range ma baguette et observe la pierre tombale en silence avant de soupirer et de m'éloigner les mains dans les poches. Je ne peux pas lui dire. Je ne peux pas... Je ne peux pas lui avouer que j'ai bien tenu ma promesse, que j'ai bien envoyé un hibou à mon père. Je ne peux pas lui avouer qu'il a répondu à ce hibou en se montrant froid et impitoyable. Le « non » a été définitif et la mort de ma mère ne lui a visiblement rien fait. Je n'ai pas été surpris mais déçu car j'ai voulu croire aux mots de ma mère, j'ai voulu croire que lui donner une chance de se rattraper et de me faire une place dans son existence était possible mais j'ai eu tort et j'ai mal. J'ai doublement mal. Je ne peux pas non plus lui avouer que j'ai décidé de me venger de lui : de la venger elle, de me venger moi. Je ne peux pas lui avouer que j'ai décidé de me rapprocher de ses enfants pour mieux l'atteindre lui. Je ne peux pas lui avouer que j'ai changé d'emploi, que j'ai ainsi pu rencontrer mon demi-frère. Je ne peux pas lui avouer que je vais chercher à lui nuire par tous les moyens. Je ne peux pas lui avouer que je suis devenu cet homme-là car cet homme-là, elle n'en serait pas fière.

Elle n'en serait pas fière du tout...